mercredi 6 août 2025

Le président Trump traite les faits comme il traite les gens

 Revue de presse, 5 août, - 2 -

Par le comité éditorial du NYT
Publié dans The New York Times
Le président Trump traite les faits comme il traite les gens : il s’attend à ce qu’ils soutiennent ses objectifs, et s’ils ne le font pas, il cherche à les écarter.
La semaine dernière, M. Trump s’est retrouvé confronté à une réalité gênante : la croissance de l’emploi est en berne depuis trois mois. Un président plus ancré dans la réalité aurait pu se demander si ces données ne remettaient pas en cause son programme. Fidèle à lui-même, M. Trump a préféré mettre en doute les données elles-mêmes. Il a accusé les fonctionnaires du Bureau of Labor Statistics (le bureau des statistiques du travail) de mener un complot visant à discréditer son administration — et il a limogé la responsable du bureau.
Ce licenciement est si manifestement nuisible à la crédibilité du gouvernement fédéral qu’il a suscité des objections de la part de certains sénateurs républicains.
Les accusations de M. Trump à l’encontre d’Erika McEntarfer, une haute fonctionnaire chevronnée congédiée sans ménagement, ne reposent sur rien de concret. Le rapport mensuel du gouvernement sur le marché de l’emploi est élaboré par le personnel non partisan du bureau. Les estimations de différents secteurs de l’économie sont compilées séparément, puis agrégées dans un rapport national, finalisé avant même d’arriver sur le bureau de la personne nommée politiquement pour diriger l’agence. Des experts — y compris d’anciens responsables du bureau nommés par des présidents des deux partis — affirment qu’il est pratiquement impossible pour cette personne de manipuler les chiffres.
Un élément rassurant : le départ de Mme McEntarfer ne devrait pas empêcher l’agence de continuer à produire des données fiables. On peut au moins espérer que, si l’administration tente d’influencer les prochains rapports sur l’emploi, certaines des personnes responsables des données auront le courage de s’exprimer publiquement. Mais il ne fait aucun doute que les actions de M. Trump jettent une ombre sur l’ensemble de l’administration qu’il dirige. Les fonctionnaires doivent désormais faire leur travail avec la crainte d’être renvoyés simplement pour avoir produit des informations qui déplaisent au président.
M. Trump rend également plus difficile la collecte de données par le gouvernement, car les citoyens et les entreprises sollicités pour répondre à des enquêtes ont désormais des raisons de douter que leurs réponses seront rapportées fidèlement.
Le président affirme avoir renvoyé Mme McEntarfer pour préserver l’intégrité des données fédérales. En réalité, ses actions risquent de provoquer exactement le problème qu’il prétend vouloir résoudre. Au lieu d’améliorer la qualité des informations recueillies et publiées par l’État, il sème le doute sur la capacité des agences fédérales à produire des données fiables. Et ce faisant, il pousse les Américains à ne plus se fier qu’à ce qu’il décrète être la vérité.
La production et la diffusion d’informations fiables constituent pourtant un service public fondamental. Les décisions des citoyens — qu’il s’agisse de porter un imperméable, de prendre un médicament ou d’investir — sont souvent guidées par les données fédérales.
On oublie aussi trop souvent que ces données sont essentielles au bon fonctionnement de l’État lui-même. Comme l’a soutenu le politologue James Scott, un État a besoin d’informations lisibles et standardisées pour rédiger de bonnes règles et prendre des décisions éclairées. Le sens originel du mot « statistiques » est d’ailleurs « informations sur l’État ». Sans statistiques, un État ne peut pas fonctionner efficacement. Il ne peut ni édicter de bonnes règles ni faire de bons choix.
Les pays qui manipulent leurs statistiques se mentent à eux-mêmes, et en paient le prix, comme l’a documenté Ben Casselman dans une analyse récente du New York Times. La Grèce a dissimulé ses déficits budgétaires pendant des années, allant jusqu’à poursuivre en justice un fonctionnaire qui avait voulu publier les chiffres réels — des mensonges qui ont contribué à déclencher une crise de la dette majeure en 2009. L’Argentine est devenue tristement célèbre pour avoir sous-estimé son inflation, au point que les investisseurs ont fini par craindre le pire, faisant grimper les taux d’intérêt du pays. Depuis longtemps, les régimes autoritaires publient des données embellies qui masquent et aggravent la misère de leur population.
L’administration Trump, sourde à ces leçons de l’histoire, mène une entreprise de plus en plus vaste pour supprimer des données ou empêcher la collecte de celles qui contredisent son agenda politique. Elle a proposé de couper les fonds de l’observatoire hawaïen qui mesure la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère depuis 1958. Elle a fermé une base de données nationale qui recensait les abus commis par les forces de l’ordre fédérales. Elle a retiré du site des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) les résultats du Youth Risk Behavior Surveillance System, une étude de longue durée sur les comportements des adolescents — sommeil, sexualité, usage de drogues — avant d’être contrainte par la justice de les rétablir, mais en les accompagnant d’un avertissement prétendant qu’une grande partie de ces données était inexacte.
L’une des techniques politiques les plus redoutables de M. Trump consiste à s’emparer d’un problème pour justifier des politiques destructrices. Depuis longtemps, des politiciens se plaignent du manque de précision du rapport mensuel sur l’emploi — ce qui est en partie vrai. Il s’agit d’une première estimation, approximative, publiée en général le premier vendredi du mois suivant. L’agence revoit ensuite cette estimation à mesure qu’elle collecte des données plus fiables. Depuis 1979, date à laquelle elle a commencé à mesurer ses écarts, l’erreur moyenne du premier rapport est de 57 000 emplois. Ce n’est pas négligeable.
Kevin Hassett, directeur du Conseil économique national, a tenté de justifier les décisions de M. Trump dans les émissions politiques dominicales, affirmant que les erreurs du bureau présentaient des « tendances partisanes ». Mais, comme son patron, il n’a fourni aucune preuve de cette accusation. Ce qui fait la force des données, c’est qu’elles peuvent être examinées par tous, et il n’existe aucun schéma montrant un biais politique dans les révisions de l’agence. En réalité, Ernie Tedeschi, du Budget Lab de Yale, a calculé que la seule tendance observable est que les estimations initiales se sont améliorées au fil du temps.
Le bureau fait face à de vrais défis. Il s’appuie sur une enquête mensuelle auprès d’environ 60 000 foyers, dans un contexte où les gens sont de plus en plus difficiles à joindre et moins enclins à répondre aux sondages. Il doit fournir davantage d’efforts pour recueillir la même quantité d’informations, mais le Congrès a à plusieurs reprises refusé de lui accorder des moyens supplémentaires. En conséquence, l’agence doit de plus en plus recourir à d’autres sources pour extrapoler la situation réelle du marché du travail.
L’an dernier, Mme McEntarfer avait déclaré que, sans financement additionnel, l’agence pourrait devoir supprimer 5 000 foyers de son enquête, ce qui dégraderait encore la qualité des estimations.
Un président soucieux de l’exactitude des données sur l’emploi devrait s’attaquer à ces problèmes. M. Trump, lui, ne propose ni d’augmenter les financements, ni d’améliorer les méthodes de l’agence. Il ne s’intéresse pas au nombre d’emplois que l’économie américaine créera ce mois-ci. En renvoyant Mme McEntarfer, M. Trump a montré qu’il ne voulait tout simplement pas le savoir.

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