En paix avec mes 85 ans faits.
Je vieillis, c'est indéniable. Mon CORPS s'use. Mon cœur s'emballe. Ça grince de partout. Ça démarre plus lentement. Ça récupère moins vite. La mémoire oublie. Les mots se dérobent. Les oreilles se durcissent. La démarche se désapprend. Le corps ramollit et se dessèche. Le sexe ne répond plus à la libido qui persiste. Le monde rétrécit et s'éloigne. La vie ralentit et le temps s'accélère. L'équilibre se fragilise. Tout se fragilise. L'heure du départ se rapproche. On refait à l'envers le chemin vers le temps où on n'était pas et où on ne sera plus.
Mais la CONSCIENCE, elle, est plus vive, plus profonde, plus compréhensive avec l'âge. Le regard s'affine. Le cœur s'attendrit. L'âme s'éveille. Le silence parle. Serge Bouchard avoue : « Plutôt que de chercher la vérité du monde, j'ai poursuivi sa beauté. ». À la fin, c'est en effet la beauté qui l'emporte. C'est la Vie. C'est l'Univers. C'est le Soleil, les arbres, le fleuve. C'est le calme et l'intimité de la maison, la douceur du sommeil, la joie de vivre d'un petit-fils, la sécurité de la vieillesse, mon « Petit pays » au « Doux pays » du Kamouraska.
J'ai longtemps pensé que je ne dépasserais pas 65 ans. Puis, j'ai allongé la mise jusqu'à 75 ans. Me voilà parvenu à 85 ans. Et je me surprends à envier Guy Rocher qui vient d'en faire 97 avec la voix sûre et les idées claires. C'est un privilège de pouvoir vieillir.
La vieillesse est la saison des bilans , l'inévitable « plongée en soi-même et repli de survivance» (Serge Bouchard): l'âge nous oblige à réinterpréter nos vies, à en chercher le fil conducteur, à en peser les réussites, les ratés, les blessures, les moments-charnière; à faire le ménage, à prendre des distances, à transmettre à ceux qui restent et qui viennent ce qui mérite de l'être, C'est pourquoi j'écris, chez moi, de source, en attendant, et vous qui me lisez m'aidez à me sentir vivant.
Comme un bateau qui quitte le port, les vieux se détachent, s'éloignent. Les souvenirs deviennent leurs trésors les plus précieux: ils remplacent ce qui ne peut plus être. Leurs descendants relaient derrière eux leur empreinte dans la chaîne de l'ADN et du temps.
Vieillir n'a rien d'effrayant quand on prend conscience de quoi nous sommes faits.
Nous sommes fait de la matière de l'Univers, nous sommes fils de la Terre et du Ciel, nous sommes poussière d'étoiles, nous sommes issus de cette fureur de vivre qui pousse l'énergie cosmique à s'organiser, à vivre et à penser (Hubert Reeves).
Nous ne naissons pas : nous avons toujours été: nous apparaissons, comme l'herbe au printemps,
Nous ne mourrons pas : nous serons toujours : nous disparaissons, comme l'herbe à l'automne.
Nous sommes faits de la substance, de l'énergie et du mouvement de l'Univers. Entre l'hiver infini où nous n'étions pas et l'hiver infini où nous ne serons plus, nous vivons le temps d'un printemps, d'un été et d'un automne éphémères, nous sommes des étoiles filantes, trois petits tours et on s'en va, nous laissons une empreinte : nos enfants, nos amours, nos oeuvres.
Nous sommes, l'instant d'une vie, la Conscience de l'Univers. Les dieux, les récits et les philosophies qu'on a inventé pour le dire ne valent pas un coucher de soleil, un arbre vivant, la naissance d'un animal ou d'un enfant, l'embrasement de deux corps, la permanence d'un attachement, le dévouement d'un travailleur, le courage du peuple... et la cruauté de ses maîtres. La beauté du monde a réponse à tout.
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