C'est probablement la meilleure réponse que j'ai jamais entendue à la question "Pourquoi Dieu a-t-il créé le mal ? "
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mercredi 24 avril 2024
Pourquoi Dieu a-t-il créé le mal
dimanche 21 avril 2024
Liu Cixin: Three Body 2023
— Eh bien, soit. Tu as déjà joué au billard ?
Ding Yi se dirigea vers la table de billard.
— Tu es capable de rentrer la boule ?
— N’importe qui en serait capable à cette distance.
— Montre-moi.
— Bien, l’expérience est terminée, analysons les résultats, annonça Ding
Yi en allumant une cigarette. Nous avons en tout effectué cinq essais, dont
quatre dans des espaces et à des moments différents, et deux dans la même
position, mais à un moment différent. N’es-tu pas surpris par les résultats ?
Il ouvrit exagérément les bras :
— Cinq essais ! Et les résultats de l’expérience de la boule sont les
mêmes !
Durant ces cinq expériences, les deux boules n’ont pas
changé ; pour ce qui est de leurs positions, si le cadre spatial de référence est
bien la table de billard, celles-ci n’ont pas bougé non plus. Le vecteur de
vitesse de la boule blanche heurtant la boule noire est à peu de chose près le
même. Aussi, il n’y a eu aucune variation de l’impulsion des deux boules.
C’est pourquoi, à chaque essai, la boule noire a été envoyée dans le trou.
Ding Yi ramassa une bouteille de cognac posée à côté du canapé et en
offrit un verre à Wang Miao qui déclina poliment.
— Tu devrais célébrer ça, nous avons fait la découverte d’un grand
principe : les lois de la physique restent invariables dans des cadres
spatiotemporels différents. Toutes les théories physiques de l’histoire de
l’humanité, du principe de la flottabilité à la théorie des cordes, de même que toutes les découvertes scientifiques et les réalisations de la pensée humaine
sont à ce jour des sous-produits de cette grande loi. Comparés à nous,
Einstein et Hawking n’étaient que de vulgaires techniciens.
— Imaginons à présent une autre série de résultats : la première fois, la
boule blanche pousse la boule noire dans le trou ; la deuxième, la boule noire
dévie sur le côté ; la troisième fois, la boule noire grimpe au plafond ; la
quatrième, la boule noire volette dans la pièce comme un moineau affolé,
puis vient finalement se ficher dans ta poche ; la cinquième, la boule noire
s’envole à la vitesse de la lumière, fait un trou dans le bord de la table,
transperce le mur et dépasse la planète Terre, puis le système solaire, comme
dans la nouvelle d’Asimov1. Qu’en déduirais-tu ?
Ding Yi fixa Wang Miao. Ce dernier garda le silence un long moment
avant de répondre :
— C’est ce qui est arrivé, n’est-ce pas ?
Trois coûteuses tables de billard ont été construites : une en
Amérique du Nord, une en Europe et une, comme tu le sais, à Liangxiang en
Chine. Votre Centre de recherches en nanotechnologie en a d’ailleurs tiré un
certain profit. Ces accélérateurs de particules à haute énergie augmentent
l’énergie de collision à un ordre de grandeur jusque-là jamais atteint par
l’homme. Dans ce nouveau régime, en dépit des mêmes particules, des
mêmes niveaux d’énergie, ainsi que des mêmes conditions d’expérience, les
résultats se sont révélés très différents. Les variations ne sont pas seulement
notables entre différents accélérateurs, mais aussi sur un même accélérateur à
des moments différents de l’expérience. Ça a été la panique chez les
physiciens. Ils ont réitéré encore et encore leurs expériences de collisions à
haute énergie, mais les résultats obtenus ont été chaque fois différents, ils ne
semblent régis par aucune loi.
— Cela signifie que les lois de la physique varient dans le temps et dans
l’espace.
— Cela signifie que les lois de la physique que nous croyions applicables
partout dans l’univers n’existent pas, que la physique… n’existe pas
L’hypothèse du sniper était la suivante : un tireur d’élite de génie s’amuse
à mitrailler une cible dans laquelle chaque impact de balle se situe à une
distance précise de dix centimètres l’un de l’autre. Imaginons que sur la
surface même de la cible vivent des créatures intelligentes en deux
dimensions. Les honorables scientifiques de cette étrange espèce mènent une
étude qui les conduit à édicter une loi fondamentale : dans l’univers, il y a un
trou tous les dix centimètres. Les créatures prennent la distraction du sniper
pour un principe invariable de l’univers.
L’hypothèse du fermier, elle, tient du roman d’épouvante : il était une fois
des dindes vivant dans la basse-cour d’une ferme. Chaque jour à 11 heures du
matin précises, le fermier venait apporter le déjeuner des volailles. Un
scientifique de la société des dindes étudia ce phénomène et remarqua qu’il
avait lieu de façon régulière depuis près d’un an, sans avoir jamais connu
d’exception. Il en déduisit donc qu’une loi fondamentale régissait l’univers :
la nourriture arrive chaque matin à 11 heures. Il présenta cette loi le matin
même du jour de Noël à ses compatriotes. Or ce jour-là, à 11 heures, aucun
déjeuner n’arriva. Le fermier entra dans la basse-cour et égorgea les dindes.
Une question capitale négligée par la majorité des recherches
en sciences fondamentales du monde entier
(article originellement publié dans la revue confidentielle Références
internes, XX/XX/196X)
[Résumé de l’article]
Au regard de l’histoire moderne et contemporaine, les résultats derecherche en sciences fondamentales peuvent être divisés en deux modes :
le mode progressif et le mode radical.
Mode progressif : les résultats sont théoriques et fondamentaux avant de
devenir graduellement des technologies appliquées. L’accumulation de ces
technologies finit par provoquer une avancée capitale dans le domaine en
question. Parmi les exemples récents : l’évolution des technologies spatiales.
Mode radical : les résultats théoriques et fondamentaux deviennent
rapidement des technologies appliquées et provoquent dès leur mise en oeuvre
des avancées capitales. On peut citer l’exemple récent des armes nucléaires.
Jusque dans les années 1940, certains des physiciens les plus talentueux du
monde estimaient encore qu’il ne serait jamais possible de libérer l’énergie de
l’atome. Pourtant l’arme atomique est apparue dans un laps de temps très
court. La transformation de la science fondamentale en technologie appliquée
a fait un grand bond, et ce dans une durée extrêmement brève. Ce mode
opératoire est qualifié de mode radical.
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— La recherche de civilisations extraterrestres n’est pas une discipline
ordinaire. Elle exerce une influence considérable sur la vie des chercheurs, dit
Ye Wenjie en faisant traîner ses dernières syllabes, comme si elle s’apprêtait
à lire un conte pour enfants. La nuit, lorsque tout était calme, on pouvait
entendre dans nos casques les bruits sans vie de l’univers. Ils étaient faibles,
mais paraissaient plus immuables et plus éternels que les étoiles. Parfois,
j’avais au contraire l’impression qu’ils ressemblaient à celui du vent glacial
qui soufflait sans faiblir sur les montagnes du Grand Khingan. J’avais si
froid, et cette solitude… Je ne saurais la décrire. Quelquefois, après le travail,
je levais les yeux au ciel en m’imaginant que le tapis d’étoiles était un désert
scintillant et que j’étais une orpheline abandonnée en plein milieu de ce
désert… Comme je te l’ai déjà dit, j’avais le sentiment que la présence de la
vie sur Terre était le plus grand de tous les hasards de l’univers, que l’univers
était un palais vide, habité par une seule petite fourmi : l’espèce humaine.
Cette idée m’a accompagnée toute ma vie : je me dis parfois que la vie est
précieuse, qu’elle est ce qu’il y a de plus important au monde ; mais d’autres
fois, je me dis que l’humain est si minuscule qu’il ne vaut finalement pas
grand-chose.
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C’était l’idée défendue par le sociologue Bill Matthews, du think tank de la
RAND Corporation, dans son ouvrage intitulé Un rideau de fer de cent mille
années-lumière : une étude sociologique de la recherche d’intelligence
extraterrestre. Il y proposait sa théorie du “contact comme symbole”. Selon
lui, un contact avec une civilisation extraterrestre n’avait en fait qu’une
fonction symbolique, ce n’était qu’un élément déclencheur : peu importe la
nature du contact, l’effet serait identique. Même si, par exemple, ce contact
ne faisait rien d’autre que prouver l’existence d’une intelligence extraterrestre
dans l’univers, sans aucune autre information tangible – ce que Matthews
appelait “contact élémentaire” –, ses effets seraient amplifiés par la psyché
collective et la culture de masse. Et par conséquent, l’influence de ce contact
élémentaire sur l’évolution de la civilisation humaine resterait immense. Si
un pays ou une puissance politique venait à monopoliser ce contact, il serait
synonyme d’avantage décisif d’un point de vue tant économique que
militaire.
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— Quel degré de complexité peut atteindre la structure interne d’une
particule subatomique ?
— Tout dépend le nombre de dimensions de notre perspective. Si on
observe une particule subatomique avec une perspective unidimensionnelle –
ce qui est le cas de la plupart des gens –, ce n’est qu’un point ; à une
perspective bidimensionnelle ou tridimensionnelle, la particule commence à
dévoiler sa structure interne ; à une perspective quadridimensionnelle, la
particule subatomique est déjà un monde immense.
— Si nous passons à une dimension plus haute, le degré de complexité et
le nombre de structures internes dans la particule augmenteront
considérablement. Cette comparaison est très imprécise, mais voici une idée
de ces différences d’échelles : une particule observée à une perspective en
sept dimensions possède la complexité du système stellaire trisolarien en trois
dimensions ; à une perspective en huit dimensions, la particule est aussi vaste
que la Voie lactée ; à neuf dimensions, la complexité et le nombre de
structures internes sont presque équivalents à l’univers tout entier. Et pour ce
qui est des dimensions supérieures, nos sciences physiques ne sont pas encore
en mesure de les appréhender, et nous ne pouvons pas encore mettre de mots
sur leur complexité.
— Notre conception de la vie dans le monde macroscopique n’est peut-être
pas applicable au monde microscopique. Pour être plus exact, nous pouvons
simplement dire qu’il existe de l’intelligence ou de la sagesse dans cet
univers. C’est peut-être ce que les scientifiques avaient prédit depuis
longtemps : il serait étonnant qu’aucune forme d’intelligence n’ait émergé
dans un univers aussi vaste et complexe.
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Le premier vide que j’ai créé dans ma conscience a été l’infinité de
l’espace. Un espace sans rien dedans, pas même de la lumière, un ciel
entièrement vide. Mais bientôt, j’ai découvert que cet univers sans fin ne
parvenait pas à m’apaiser. Me retrouver au milieu de cet univers me mettait
au contraire mal à l’aise, comme un noyé n’arrivant pas à trouver une prise
pour remonter à la surface.
J’ai donc créé une sphère au coeur de cet univers, pas trop grande, une
sphère possédant une masse. Mais je ne me suis pas senti beaucoup mieux.
La sphère flottait en plein milieu du vide – bien qu’en fin de compte, dans un
espace infini, le “milieu” soit partout. Au sein de cet univers, rien ne pouvait
agir sur cette sphère et elle-même ne pouvait agir sur rien. Elle était
seulement là, suspendue, sans jamais faire le moindre mouvement, sans
jamais connaître le moindre changement. La métaphore parfaite de la mort.
Alors, j’ai créé une deuxième sphère, à peu près avec la même masse que
la première. Leurs surfaces étaient composées d’une matière miroitante et
elles se renvoyaient leurs reflets, seules entités existantes dans tout l’univers.
Mais la situation ne s’est pas améliorée, car si chacune des deux sphères
n’avait pas de mouvement initial – c’est-à-dire sans poussée de ma part –,
elles seraient certainement attirées l’une contre l’autre par leur champ
gravitationnel. Puis les deux sphères resteraient suspendues ensemble,
immobiles, comme un symbole de mort. Si elles avaient un mouvement initial
et n’entraient pas en collision, elles finiraient par faire leur révolution
chacune autour de l’autre sous l’influence de leur gravité. Peu importe le
mouvement d’impulsion initial, leurs cycles de révolution finiraient par se
stabiliser et devenir à jamais inchangés, comme une danse de mort.
Alors, j’ai introduit une troisième sphère, et il s’est produit un changement
étonnant. Comme je vous l’ai dit, toutes les figures géométriques
apparaissent dans mon esprit sous la forme de chiffres. Les univers
précédents, ceux sans sphère, avec une ou deux sphères, s’étaient manifestés
sous la forme d’une ou plusieurs équations, telles les feuilles d’arbre
solitaires d’un automne tardif. Mais l’ajout de la troisième sphère a fait
s’incarner quelque chose de nouveau : le “vide”. Dès les mouvements
initiaux donnés aux sphères, celles-ci ont commencé à se mouvoir de façon
complexe dans l’espace, comme une chorégraphie chaque fois inédite. Les
équations descriptives se sont cette fois mises à pleuvoir comme une averse
sans fin.
C’est ainsi que j’ai réussi à m’endormir. Les trois sphères continuaient à
danser dans mes rêves, c’était une valse déréglée, éternellement changeante.
Pourtant, au fond de moi, cette valse avait trouvé un rythme, c’était
simplement que sa cadence était infiniment longue. J’étais fasciné, je voulais
chercher à décrire l’intégralité ou du moins une partie de cette cadence.
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Elle traça sur le tableau noir un grand triangle aux sommets duquel elle
plaça le soleil, la Terre et Jupiter. Elle inscrivit les distances le long des trois
côtés, et écrivit à côté du sommet “Terre” les heures auxquelles elle avait
observé les perturbations. Il était facile de calculer le temps du trajet mis par
les rayonnements électromagnétiques entre Jupiter et la Terre. Elle calcula
ensuite le temps qu’il avait fallu aux rayonnements pour relier Jupiter au
soleil et le soleil à la Terre. La différence entre les deux était d’exactement
six minutes et quarante-deux secondes.
L’énergie libérée lors des réactions de fusion apparaît en premier lieu sous
la forme de rayons gamma de haute énergie. La zone radiative absorbe ces
photons de haute énergie et les émet à nouveau mais, cette fois, à une énergie
plus basse. Après un long processus répété d’absorption et de réémission (un
photon peut parfois mettre mille ans avant de quitter le soleil), les rayons
gamma deviennent des rayons X, des rayons ultraviolets extrêmes, puis des
rayons ultraviolets, avant de se transformer petit à petit en lumière visible et
en d’autres formes de rayonnement.
Mais à présent, Ye Wenjie avait fait un premier pas corroborant
l’hypothèse de la sur-réflexivité des miroirs d’énergie solaires : ces miroirs ne
se contentaient pas simplement de refléter les rayonnements de fréquence
faible, ils les amplifiaient ! Toutes les mystérieuses et soudaines variations à
l’intérieur de gammes de fréquences étroites qu’elle avait pu observer par le
passé étaient donc le résultat de l’amplification par ces miroirs de
rayonnements provenant de l’espace. Voilà pourquoi aucune perturbation liée
à ces rayonnements n’était visible à la surface du soleil.
Ces deux fois-là, il était possible que les sursauts radio reçus par le soleil
en provenance de Jupiter aient été émis à nouveau, après avoir été amplifiés
près d’une centaine de millions de fois. Quant à la Terre, elle avait reçu les
deux rayonnements, avant et après leur amplification, séparés par un
intervalle de six minutes et quarante-deux secondes.
Le soleil était un amplificateur d’ondes radio !
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À l’échelle macroscopique, la capacité d’un espace de haute dimension à contenir un
espace de plus faible dimension s’arrête à cette limite. Car Dieu est radin :
lors du Big Bang, il n’a donné que trois dimensions à notre monde
macroscopique. Mais cela ne veut pas dire pour autant que d’autres
dimensions, plus grandes, n’existent pas. Huit autres dimensions
supplémentaires sont emprisonnées dans l’échelle microscopique. Si on les
ajoute aux trois dimensions du monde macroscopique, il existe donc en
réalité onze dimensions de particules élémentaires.
Je voulais simplement expliquer un fait : dans l’univers, un marqueur
important pour jauger le niveau de technologie d’une civilisation est sa
capacité à contrôler et à utiliser ces dimensions microscopiques. Pour ce qui est des particules élémentaires, nos ancêtres nus et poilus ont commencé à les
utiliser lorsqu’ils allumaient des feux dans leurs grottes. Contrôler une
réaction chimique revient ni plus ni moins à manipuler des particules
microscopiques. Bien entendu, ce genre de contrôle a évolué depuis l’époque
primitive, nous sommes passés des feux de camp aux machines à vapeur, et
des machines à vapeur aux générateurs électriques ; à présent, le niveau de
contrôle des particules microscopiques à une dimension macroscopique a
atteint son apogée.
Aux yeux de civilisations plus avancées dans l’univers, le
feu, les ordinateurs et les nanomatériaux sont de même nature : ils
appartiennent tous au même ordre. C’est la raison pour laquelle les
Trisolariens considèrent les humains comme de la vermine. Et hélas pour
nous, ils ont raison.
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