Jean Chrétien a 91 ans aujourd’hui (11 janvier) et il s’est offert un cadeau d’anniversaire. Il a dit à Donald J. Trump d’aller se faire voir dans The Globe and Mail. C'est une longue, mais excellente lecture. Voici sa chronique :
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L’Anschluss, ou comment annexer un pays par l’intimidation
À l’été 1937, Adolf Hitler et son entourage tournent leur regard vers leurs voisins, l’Autriche et la Tchécoslovaquie. L’Allemagne peine à amasser toutes les matières premières requises pour son réarmement. Elle convoite les ressources naturelles, les réserves d’or et la main-d’oeuvre autrichiennes. Ça tombe bien: Hitler a toujours considéré que le destin de l’Autriche était l’intégration à l’empire allemand.
L’Autriche est un petit état en comparaison de l’Allemagne: 7 millions de citoyens VS 54 millions pour l’Allemagne. On retrouve en Autriche un mouvement pangermaniste qui partage le rêve d’Hitler de voir toutes les populations germanophones unies dans un même pays. En 1937, ce mouvement se retrouve principalement dans le parti nazi autrichien.
À partir de l’été 1937, Hitler répète régulièrement qu’il envisage d’annexer l’Autriche. Du côté autrichien, on est bien conscient qu’une guerre contre l’Allemagne serait perdue d’avance. Le Parti nazi autrichien crée de l’agitation et se montre prêt à provoquer le conflit pour faciliter l’annexion. On envisage notamment l’assassinat de l’ambassadeur allemand, Franz von Papen.
Le premier ministre autrichien, Kurt Schuschnigg, accepte d’aller rencontrer Hitler à Berchtesgaden. La rencontre se fait en présence de deux généraux allemands, question de bien souligner la menace de guerre. Hitler se plaint à Schuschnigg que l’Autriche a toujours été injuste envers l’Allemagne, qu’elle a souvent trahi le peuple allemand. « Et je vais vous dire une chose, Herr Schuschnigg. Je suis fermement résolu à mettre fin à tout cela. J’ai une mission historique, et je l’accomplirai, parce que la Providence m’y a destiné. »
Hitler exige l’intégration du système économique autrichien à celui de l’Allemagne, la nomination de deux nazis dans des postes clefs au gouvernement et une pleine liberté d’action pour les nazis autrichiens. Il menace carrément de marcher sur l’Autriche s’il n’obtient pas entière satisfaction. Une mise en scène impliquant un des généraux d’Hitler fait bien comprend à Schuschnigg que Hitler est prêt à lui déclarer la guerre la journée même. Il signe l’entente après avoir arraché quelques concessions de peine et de misère (un seul ministre nazi plutôt que deux, par exemple).
L’Autriche conserve son indépendance officielle, mais elle se retrouve en grande partie inféodée à l’Allemagne. Elle est minée de l’intérieur maintenant que les nazis investissent le gouvernement. Schuschnigg organise la tenue immédiate d’un référendum. Plutôt que de sonder l’opinion sur un rattachement à l’Allemagne, il demande aux électeurs s’ils souhaitent une Autriche libre, chrétienne et unie. Craignant la défaite lors du référendum, Hitler ordonne à Schuschnigg de démissionner en faveur d’Artur Seyss-Inquart, le nazi autrichien récemment nommé ministre. En désespoir de cause, Schuschnigg envoie un appel à l’aide au gouvernement britannique, qui lui répond que « le gouvernement de Sa Majesté n’est pas en état de garantir votre protection ». L’Italie est elle aussi sollicitée, mais Mussolini fait savoir à Hitler qu’il n’interviendra pas. Schuschnigg n’a pas d’autre choix que de céder. Il capitule afin d’éviter un bain de sang.
Les nazis autrichiens se déchaînent dans les villes et prennent de force les édifices gouvernementaux. Seyss-Inquart envoie un télégramme convenu d’avance à Berlin pour demander à l’armée allemande de venir rétablir l’ordre. Hitler et son armée traversent le pays. Le 14 mars 1938, l’armée allemande entre dans Vienne. Le président autrichien, Wilhelm Miklas, démissionne. Hitler annonce que l’Autriche est désormais une province allemande.
Et voilà comment on annexe un pays sans conflit militaire. Toute ressemblance avec un autre chef d’État ou un quelconque projet d’annexion est purement fortuite.
Référence: Ian Kershaw, Hitler, Flammarion, 2008.
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